mercredi 1 décembre 2010

"Dans quinze ans, la presse quotidienne aura disparu"

Dans le numéro hors-série de Capital consacré ce mois-ci à la révolution numérique, Fabrice Epelboin, expert en stratégie Internet, estime que "dans quinze ans, la presse quotidienne aura disparu". Les raisons de ce bouleversement majeur ? L'expansion des tablettes numériques et du richmedia sur Internet.

C'est une prophétie de plus en plus répandue que livre Fabrice Epelboin dans une interview accordée à Capital : la presse quotidienne, mise à mal par la crise économique ces dernières années, pourrait disparaître si elle ne trouve pas de nouvelles manières rentables de diffuser l'information.

Aux Etats-Unis notamment, où l'Internet a une longueur d'avance sur les innovations, les stratégies des grands groupes se mettent en place doucement, à l'image du rapprochement entre Apple et News Corp., la firme de Rupert Murdoch. On ne fait plus d'argent avec le papier, il faut développer d'autres moyens d'en gagner pour subsister.

Quotidiens et hébdomadaires, nous dit Fabrice Epelboin, "sont menacés à court terme par l'avènement du numérique. Pourquoi payer pour passer en revue l'actualité une fois toutes les vingt-quatre heures alors qu'on dispose d'un flux d'information continu et gratuit sur Internet ?". L'expert rappelle notamment qu'en 2009, en France, la diffusion des quotidiens nationaux a reculé de 6,9%, et ce en raison d'une baisse du lectorat, d'une chute des revenus publicitaires et des petites annonces. Les pertes se creusent entraînant recapitalisations et plans sociaux.

On peut penser alors que la diffusion sur support numérique, à savoir la mise en place de services payants sur Internet, peut sauver les quotidiens. Pas forcément pense le spécialiste, qui avance l'argument suivant, plein de bon sens : "Soit les sites de presse sont gratuits, et leur chiffre d'affaires provient de la publicité - mais les revenus qu'ils encaissent grâce aux bannières en ligne sont et resteront très inférieurs à ceux générés par les pages de pub publiées sur les versions papier. Soit ces sites sont payants, et ils n'attirent que peu de lecteurs."

La vente d'applications pour tablettes n'est pas la solution miracle
D'ici quatre ans, estime Fabrice Epelboin, moins d'un habitant sur six des pays développés possédera une tablette numérique, réduisant encore plus un lectorat déjà fuyant. Certes les applications coûtent moins cher que le papier, mais les coûts ne diminuent que de 25%. Ajoutée à cela la concurrence directe sur Internet des services d'informations gratuits tels que Google News ou encore nombre de blogs professionnels, Mediapart and co...


Pour se démarquer, les titres vont devoir faire des efforts - souvent coûteux - sur l'enrichissement de l'information en s'appuyant sur la vidéo, l'audio ou la photo, qui sert à merveille le reportage, magazine notamment. Mais aussi sur l'interactivité avec les lecteurs car comme le souligne Fabrice Epelboin, les principaux titres de presse ont préféré jusqu'ici "gonfler artificiellement le nombre de leurs visiteurs uniques (grâce à une présentation de l'information favorisant le référencement sur Google, à l'achat d'audience via des "pop under", etc.)".

Enfin et heureusement, le contenu reste l'atout majeur de la fréquentation d'un site d'information en ligne, "et les détenteurs d'informations sensibles préfèrent désormais les livrer à des sites Internet plutôt qu'à la presse écrite." Fabrice Epelboin fait notamment référence à WikiLeaks, un site hébergé en Suède dont certaines révélations font actuellement scandale sensation et dont je vous parle dans le billet suivant.

A mon sens, en prenant en compte le fait que l'économie mondiale retrouvera un jour des couleurs, la presse quotidienne papier devrait mettre bien plus que quinze ans à disparaître.
D'abord parce que, à l'image du livre *, le papier reste une matière palpable, recyclable, stockable, odorante, parfois décorative, et ne nécessite pas de recharge électrique.
Ensuite parce que la révolution numérique n'entraînera au mieux qu'une évolution naturelle de la presse, non une révolution, à travers ses méthodes d'investigation et de traitement de l'information.
Enfin parce que certains quotidiens en ligne, des pure players, se tournent vers le print, à l'image de Rue89 qui édite son cinquième numéro mensuel (et de Marmiton, son premier magazine, mais ça c'est une autre histoire...).



Quelques chiffres :
- En 2009, recul de la diffusion de la presse française de 3,3%, dont 6,9% pour les quotidiens.
- 1 jeune sur 10 chez les 15-24 ans lit un quotidien.
- Le patron de "The Times" prévoit une chute de 90% de la fréquentation du site suite au passage payant à 2£ par semaine.

A lire également (archives) :
Qui veut encore financer la presse ? par Marie Benilde - Le Monde Diplomatique

* Fabrice Epelboin donne également sa vision du marché numérique du livre dans la suite de l'interview...

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