lundi 13 décembre 2010

La presse française vue par l'ambassade américaine

Le câble 07PARIS306 révélé par Wikileaks met en lumière une certaine idée (reçue) de la presse française.

"Top French journalists are often products of the same elite
schools as many French government leaders. These journalists do not
necessarily regard their primary role as to check the power of
government. Rather, many see themselves more as intellectuals,
preferring to analyze events and influence readers more than to
report events."
Que les "grands journalistes", c'est à dire rédac' chefs, directeurs de la rédaction, grands reporters soient issus des mêmes grandes écoles - certainement Sciences Po dans l'idée des Américains -, que les membres du gouvernement, est une réalité peu choquante, sauf peut-être outre-Atlantique où les politiciens ne font pas forcément de grandes études mais disposent d'une fortune personnelle ou d'un patrimoine familial qui peuvent financer leur élection.

En outre, il semblerait que le câble fasse référence à des éditorialistes qui sont journalistes certes, mais dont la fonction est d'analyser un fait du point de vue de la ligne éditoriale dont ils sont les garants. Un amalgame assez fréquent.

Plus intéressant dans le câble, la vision des Américains sur les médias français, perçus comme assujettis au pouvoir politique.
The private sector media in France - print and broadcast -
continues to be dominated by a small number of conglomerates, and
all French media are more regulated and subjected to political and
commercial pressures than are their American counterparts. The
Higher Audio-Visual Council, created in 1989, appoints the CEOs of
all French public broadcasting channels and monitors their political
content.
Ainsi le CSA nomme les patrons et surveillent le contenu politique de leur média. De fait Internet, et notamment le blogging mentionné dans le câble, devient le seul moyen pour les minorités d'exprimer des idées de façon indépendante et non soumise à la régulation. On pense aussi à Mediapart, même si le site d'Edwy Plenel n'est pas dédié à une minorité particulière mais plutôt à un public de plus en plus large désireux de lire une presse indépendante.

mercredi 1 décembre 2010

WikiLeaks fait péter les câbles diplomatiques

WikiLeaks défraie la chronique en publiant 250 000 câbles - ou dépêches - diplomatiques américaines, révélant au grand public des informations "secrètes" qui dérangent les hautes sphères internationales, dirigeants des pays en tête. L'un des responsables, un ancien hacker australien nommé Julian Assange, est recherché par Interpol car selon la Maison Blanche, certains individus courent désormais un risque mortel.

Les derniers faits
Il y a tellement d'informations fournies par le site et reprises par les médias à l'instant même où j'écris ces lignes qu'il devient difficile de les énumérer. Pêle-Mêle :
- La Chine pourrait lâcher la Corée du Nord

-
Sarkozy dépeint par l'ambassadeur américain à Paris : "Pro-américain, impulsif, comique, frénétique, autoritaire" et... qui court après un lapin
- La peur des pays arabes face à l'Iran
- Washington critique l'intégration en France
- Erdogan dément avoir des comptes bancaires en Suisse
-
Les magouilles technologiques du gouvernement américain
- etc, etc...

Le mieux c'est encore de taper WikiLeaks dans Google News ou sur le site du Monde qui donne les infos au compte-goutte (250 000 notes à lire, bon courage aux journalistes...).

WikiLeaks : entre espionnage, voyeurisme et théorie du complot
A quoi bon savoir que Nicolas Sarkozy a couru après le lapin de son fils dans les couloirs du ministère de l'Intérieur, si ce n'est assister à une scène d'ordre privé ? Tout père bien attentionné aurait probablement fait la même chose.
En revanche, connaître la position de l'Iran sur le nucléaire, surtout pour les pays arabes voisins, est une information concrète et utile, qui est censée restée cachée aux yeux du monde. C'est ce que l'historien d'Oxford Thimothy Garton Ash qualifie d'intérêt général...

A vérifier tout de même puisque, comme le souligne Paul Moreira dans la vidéo ci-dessous, et qui a enquêté sur une partie des diffusions de WikiLeach, il y a du vrai et du faux dans tout ce qui est rapporté. C'est là qu'intervient le journaliste : dans le choix de l'information, la vérification de sa source et son traitement final, la publication.

Plus je lis les dépêches, et plus je me rends compte que même si une information intéressante était relevée et analysée, elle serait noyée au milieu du brouhaha médiatique et diplomatique. Beaucoup de bruit pour rien ? Pas pour les théoriciens du complot, qui doivent se régaler en jugeant leurs thèses confortées, ou pour les scénaristes du prochain James Bond, qui vont piocher quelques idées qu'ils n'auraient pu imaginer...



Paul Moreira, france-info, 29112010
envoyé par FranceInfo. - Regardez les dernières vidéos d'actu.

"Dans quinze ans, la presse quotidienne aura disparu"

Dans le numéro hors-série de Capital consacré ce mois-ci à la révolution numérique, Fabrice Epelboin, expert en stratégie Internet, estime que "dans quinze ans, la presse quotidienne aura disparu". Les raisons de ce bouleversement majeur ? L'expansion des tablettes numériques et du richmedia sur Internet.

C'est une prophétie de plus en plus répandue que livre Fabrice Epelboin dans une interview accordée à Capital : la presse quotidienne, mise à mal par la crise économique ces dernières années, pourrait disparaître si elle ne trouve pas de nouvelles manières rentables de diffuser l'information.

Aux Etats-Unis notamment, où l'Internet a une longueur d'avance sur les innovations, les stratégies des grands groupes se mettent en place doucement, à l'image du rapprochement entre Apple et News Corp., la firme de Rupert Murdoch. On ne fait plus d'argent avec le papier, il faut développer d'autres moyens d'en gagner pour subsister.

Quotidiens et hébdomadaires, nous dit Fabrice Epelboin, "sont menacés à court terme par l'avènement du numérique. Pourquoi payer pour passer en revue l'actualité une fois toutes les vingt-quatre heures alors qu'on dispose d'un flux d'information continu et gratuit sur Internet ?". L'expert rappelle notamment qu'en 2009, en France, la diffusion des quotidiens nationaux a reculé de 6,9%, et ce en raison d'une baisse du lectorat, d'une chute des revenus publicitaires et des petites annonces. Les pertes se creusent entraînant recapitalisations et plans sociaux.

On peut penser alors que la diffusion sur support numérique, à savoir la mise en place de services payants sur Internet, peut sauver les quotidiens. Pas forcément pense le spécialiste, qui avance l'argument suivant, plein de bon sens : "Soit les sites de presse sont gratuits, et leur chiffre d'affaires provient de la publicité - mais les revenus qu'ils encaissent grâce aux bannières en ligne sont et resteront très inférieurs à ceux générés par les pages de pub publiées sur les versions papier. Soit ces sites sont payants, et ils n'attirent que peu de lecteurs."

La vente d'applications pour tablettes n'est pas la solution miracle
D'ici quatre ans, estime Fabrice Epelboin, moins d'un habitant sur six des pays développés possédera une tablette numérique, réduisant encore plus un lectorat déjà fuyant. Certes les applications coûtent moins cher que le papier, mais les coûts ne diminuent que de 25%. Ajoutée à cela la concurrence directe sur Internet des services d'informations gratuits tels que Google News ou encore nombre de blogs professionnels, Mediapart and co...


Pour se démarquer, les titres vont devoir faire des efforts - souvent coûteux - sur l'enrichissement de l'information en s'appuyant sur la vidéo, l'audio ou la photo, qui sert à merveille le reportage, magazine notamment. Mais aussi sur l'interactivité avec les lecteurs car comme le souligne Fabrice Epelboin, les principaux titres de presse ont préféré jusqu'ici "gonfler artificiellement le nombre de leurs visiteurs uniques (grâce à une présentation de l'information favorisant le référencement sur Google, à l'achat d'audience via des "pop under", etc.)".

Enfin et heureusement, le contenu reste l'atout majeur de la fréquentation d'un site d'information en ligne, "et les détenteurs d'informations sensibles préfèrent désormais les livrer à des sites Internet plutôt qu'à la presse écrite." Fabrice Epelboin fait notamment référence à WikiLeaks, un site hébergé en Suède dont certaines révélations font actuellement scandale sensation et dont je vous parle dans le billet suivant.

A mon sens, en prenant en compte le fait que l'économie mondiale retrouvera un jour des couleurs, la presse quotidienne papier devrait mettre bien plus que quinze ans à disparaître.
D'abord parce que, à l'image du livre *, le papier reste une matière palpable, recyclable, stockable, odorante, parfois décorative, et ne nécessite pas de recharge électrique.
Ensuite parce que la révolution numérique n'entraînera au mieux qu'une évolution naturelle de la presse, non une révolution, à travers ses méthodes d'investigation et de traitement de l'information.
Enfin parce que certains quotidiens en ligne, des pure players, se tournent vers le print, à l'image de Rue89 qui édite son cinquième numéro mensuel (et de Marmiton, son premier magazine, mais ça c'est une autre histoire...).



Quelques chiffres :
- En 2009, recul de la diffusion de la presse française de 3,3%, dont 6,9% pour les quotidiens.
- 1 jeune sur 10 chez les 15-24 ans lit un quotidien.
- Le patron de "The Times" prévoit une chute de 90% de la fréquentation du site suite au passage payant à 2£ par semaine.

A lire également (archives) :
Qui veut encore financer la presse ? par Marie Benilde - Le Monde Diplomatique

* Fabrice Epelboin donne également sa vision du marché numérique du livre dans la suite de l'interview...